Blanck Romain

Romain Blanck s’intéresse à la production et à l’exploitation de l’information, de la plus spontanée à la plus stratégique. Il isole des matériaux expressifs et des détritus graphiques, puisés en ligne et dans des magasins d’outillage, dont il charge ensuite ses toiles. Parmi les supports qui inspirent ses œuvres, se trouvent des feuilles de papiers et des plaques en linoléum, qui servent à tester des stylos et des lames de gouges et de couteaux. Il pioche également des signes sur Instagram, dont des autocollants figuratifs. Tout ce répertoire de formes gratuites constitue un ensemble hétérogène qu’il traduit à force de ruses. Ces formes à priori insignifiantes, auparavant réduites au statut de rebuts, lui livre un langage abstrait qu’il agrandit, décuple de façon automatique et s’attache à imiter. Le programme de protocoles qu’il a mis en place, articule phases de collecte, de montage, de reproduction et de diffusion, avec un va et vient constant entre production numérique et production picturale. Romain Blanck procède d’abord par scan des feuilles récupérées. Puis, il les incise sur Photoshop pour en extraire les signes qui l’intéressent et qu’il réagence. S’ensuit un montage arbitraire de motifs reportés sur des toiles verticales, seules ou en diptyque. Avec une méticulosité qui en restituerait presque le toucher et qui nous ramène à l’art du trompe-l’œil, l’artiste tente de reproduire ses montages sur la toile. Ce qui a pour effet de diminuer voire d’annuler la spontanéité du geste, qu’il soit digital ou pictural au profit d’actions réfléchies. Ce glissement de signes hasardeux, de traits griffonnés et de ratures, en motifs quasi-ornementaux, conduit à un contre-sens. Il y a en effet quelque chose de contradictoire à vouloir maîtriser l’accident et à copier de chaotiques brouillons. Mais il est évident qu’en les transposant sur d’autres supports, l’artiste fait sien ces éléments et n’interdit pas l’intrusion de ses propres écarts.


Selon le postulat d’Isidore Isou - qui a fondé le mouvement lettriste à son arrivée en France en 1945 - un signe est une langue en soi, détenant une valeur poétique et sociale. Ce principe retentit dans la pratique de Romain Blanck qui aborde le langage comme un système programmable, qui peut être codé puis décodé, tout en véhiculant des choses complètement absurdes. Il s’empare de nos technologies de communication contemporaines pour observer la façon dont elles entremêlent des interactions fluides et rigides, en conjuguant le réel et le simulé. A partir des gestes automatiques qu’il capte et incorpore, l’artiste nous parle aussi de l’information qui circule entre nos cellules nerveuses. Les signes qu’il collectionne, peuvent nous apparaître comme des manifestations visuelles de la machinerie qui pilote le corps - en tant qu’espace parcouru par des activités électroniques, technologiques et mécaniques. Mais alors que l’intelligence de la machine corporelle est un sujet d’obsession, l’artiste réduit son expression à du barbouillage.


En exécutant des protocoles préalablement définis de manière répétée, il développe des techniques qui imitent le comportement mécanique et docile des machines typographiques, comme s’il devenait lui-même un automate ou une imprimante, capable de reproduction de grande qualité. Et bien qu’il soit seul à exécuter toutes les phases de production, l’artiste disparaît derrière ses réappropriations. Il simule des gestes vivaces et nerveux tout en jouant avec un vocabulaire des plus standardisés, tandis qu’il désaffecte ses œuvres de ses émotions. Les feuilles de tests qu’il réemploie sont, à première vue, dépourvues de tout contenu sémantique et de tout engagement affectif. Elles contiennent de l’information anonyme qui compose une sorte d’écriture, bousculant le principe même d’originalité, que la création académique érige en valeur suprême. Nous sommes tenté·es de voir un lien entre l’effacement de la subjectivité de l'artiste et le brouillage des identités que les réseaux sociaux favorisent.


Si Romain Blanck traite ses peintures comme des images verticales, plates, dénuées d’horizon et aseptisées, c’est pour mieux anticiper leur dématérialisation et leur circulation en ligne. La création d’une image repose sur des dynamiques d’exclusions et d’inclusions qui interviennent dans les conventions techniques du réseau social. C’est par la programmation de codes et de cadres que le réseau social entretient sa mécanique de contrôle. Romain Blanck entreprend également un processus sélectif dès lors qu’il isole et recadre le contenu mémorisé. En combinant l’accidenté et le maîtrisé, les peintures de l’artiste s’alignent sur l’esthétique d'Instagram, qui cherche à sublimer ce qu’il y a de plus banal.


Derrière la vitalité formelle et l’énergie mécanique qui émanent de ses œuvres, on entrevoit une sensation de vide et de désincarnation. Romain Blanck nous donne ainsi sa propre version de la vacuité contemporaine qui s’exprime dans les réseaux sociaux et dans le marché de l’art. On peut dès lors se demander s’ils n’impactent pas tous deux, le libre arbitre des artistes, qui en étant occupé·es à traiter l’afflux de signaux sans trop les conscientiser, réceptionnent bien plus qu’iels n’agissent. Ces systèmes stimulent également la création de stratégies de séduction. Dans la série de diptyques que Romain Blanck a présentée cette année, dans l’exposition “Alligator Escalator Terminator” à Liffré (Ille-et-Vilaine), l’artiste propose une multiplicité de combinaisons possibles de ses diptyques. Il rejoue de cette façon, les codes des catalogues de vente d'œuvres, qui laissent aux collectionneur·ses le choix de leurs associations. Tout comme les feuilles de tests, les peintures de Romain Blanck nous signifient la relation complémentaire de la consommation et de la création. Ces objets qu’il emprunte servent à inciter l’achat, ce à quoi la peinture semble répondre quand on sait la place qu’elle tient dans les foires d’art contemporain. En réhabilitant des objets qui ont une durée de vie très limitée, Romain Blanck nous ramène à l’histoire de la peinture, qui, bien que présumée morte à plusieurs reprises, réapparaît en puissance dans le marché de l’art.



Text by Lila Torquéo
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